Les derniers voyages d’Alfred Métraux

2 - Haïti, retour sur une terre familière


Escale à Port-au-Prince, Haïti


Courte escale à Port-au-Prince

Port-au-Prince, mercredi 28 juin 1961
Arrivée dans la rade de Port au Prince vers 6h et demi. Promenade en auto. En quelques minutes, les visages redeviennent familiers, trop familiers : aucun choc, aucun plaisir, seule l’impression du temps immobilisé. Marché de Pétionville et son grouillement. Allons aux bureaux de Madsen et Compagnie, où nous prenons un supplément pour les Guyanes : grande salle avec tables en bois massif derrière lesquelles des clercs noirs écrivent. Tout le cadre des vieilles navigations du XIXeme siècle. Dans la cour, les trieuses de café assises par terre. Elles occupent également une grande salle. Tout cela fait très île.
Visite aux B. à la Caravelle. D’un air effrayé, il nous raconte les dernières élections, qui ont fait de Duvalier un dictateur plébiscité...

Voir la suite

Nous remontons la rue pavée, le Champ de Mars et allons à la pension Excelsior (…) La pension est charmante, avec son aspect désuet, son mauvais goût, la fraîcheur et le calme.


Réminiscences et impressions nouvelles

Les nouvelles impressions se plaquent sur les anciennes. Promenade en direction de la barrière Saint Joseph. Promenade au marché Bosal. La tête bef rouge a disparu avec la maison qui la portait, mais je retrouve l’étroite allée qui me conduit chez Joseph Antoine. Celui-ci tombe dans mes bras, nous nous embrassons (...) Il nous fait entrer dans une hutte d’une seule pièce. Grand lit couvert d’un drap fait de drapeaux américains. Dans un coin, une table servant d’autel. Un paquet, recouvert de tissus, ayant vague forme humaine…

Voir la suite

image de Criminel. Des bouteilles couvertes de tissus, des images pieuses dont celle de Saint Ulrich, Agoué tenant un poisson en main. Au mur, un fouet. Joe me montre les vieilles lettres de ses clients qui font sa gloire. Ce sont les mêmes qu’il m’a fait lire jadis (…) Joe me dit que depuis notre dernière rencontre, il a accru ses connaissance, qu’il sert les diables, des loa très « durs ». Vieux et malade, il s’adonne peut-être à la magie.
A 9h p.m., à bord. Je regarde le déchargement. Un docker qui manie les grues(…) Rade de Port au Prince illuminée, je crois que je la vois pour la dernière fois. Immense soulagement de ne pas devoir rester en Haïti ! Non, je n’aime plus ce pays. Il n’y a plus rien à faire…


Contournant Haïti par le nord…

29 juin, au large de la Tortue
Pelée et monstrueuse – Ces croupes nues coincées entre une eau très bleue très méditerranéenne et le ciel ne me surprennent guère tant est vif le sentiment que j’ai d’être en Méditerranée (…) Ces croupes pelées, cette très précise qualité délicieuse du temps – cette eau bleue cela est très exactement les îles grecques...
A me rapporte cette triste parole du médecin : Haïti, c’est le plus pauvre pays du monde. »

Voir la suite

L’île – la connaissance de l’insularité. L’insularité perçue ou ressentie comme insularité. Il faut savoir que la Sardaigne est une île pour la ressentir telle. L’île doit être très petite pour que sa nature d’île soit perçue (…) j’aime qu’une île soit petite au point de la ressentir physiquement. »
Notre affaire s’arrange et notre billet est sans difficulté prolongé jusqu’à Georgetown.
Le soir tombe – délices. A note ses observations d’hier non loin de moi.


L’Adieu à la Tortue

Jeudi 29 juin 1961. Nous entrons dans le canal des vents vers 11 heures et la Tortue s’étale devant nous, haute, verte et peu différente de la côte opposée que nous longeons d’assez près. J’ai l’impression que c’est la dernière fois que je contemple l’île et j’essaie de lutter contre la faiblesse de ma mémoire visuelle en gravant par un effort réfléchi et systématique les détails du spectacle.

Escale à Cap-Haïtien

Arrivons au Cap Haïtien vers 3 heures p.m. A l’entrée du port, un morne vert avec les vestiges d’un ancien fort taillé dans la roche. Derrière un mur, une cocoteraie. Le morne rappelle ceux des vieilles marines, estampe romantique. Après une fausse entrée, nous pénétrons dans la baie que le vent agite. La superstructure d’un bateau danois échoué témoigne des difficultés de navigation dans la baie.